Photo de François HéritierLe Dr François Héritier, spécialiste en médecine générale, est président de la Société Suisse de Médecine Générale

Plus de 8 ans d’engagement pour obtenir progressivement toute une série de mesures favorisant la médecine de famille : ouvertures d’Instituts de médecine générale au sein des facultés de médecine; fonds pour la formation de la relève dans nos cabinets médicaux et pour la recherche en soins primaires; inscription dans la Constitution fédérale d’un article en faveur des soins médicaux de base; 10 dollars supplémentaires pour chaque consultation de médecine de famille.

Mais quelle aventure pour de tels résultats !

Situation initiale

Il y a plus de 8 ans, nous ronronnions encore dans nos activités quotidiennes de médecins généralistes quand plusieurs éléments sont intervenus. Les premières analyses, après l’introduction en 2004 d’un nouveau tarif ambulatoire, montraient que les spécialistes gagnaient toujours plus. Au même moment, une publication annonçait une pénurie prochaine de généralistes vu la structure d’âge des praticiens installés (plus de 55 ans de moyenne) et le peu d’intérêt des étudiants en médecine pour la médecine de famille (11% en 2006). Notre image n’était pas très reluisante pour notre éventuelle relève qui nous considérait comme des geignards solitaires, sous pression des caisses-maladie, tout le temps de garde, mal équipés, ne sachant rien faire et de plus mal payés. Une nouvelle baisse dans nos prestations, décidée alors par notre ministre de la santé, mit le feu aux poudres.

2006, la manif

Nous sommes donc descendus dans la rue. Plus de 12 000 personnes (il y a environ 7 000 médecins de  famille en Suisse) se sont rassemblées sur la Place Fédérale à Berne le 1er avril 2006 pour annoncer la pénurie prochaine et revendiquer deux mesures pour y remédier : une meilleure formation et une valorisation financière. Nous n’avions rien inventé, nous avions repris les recettes gagnantes du Danemark ou de la Grande-Bretagne.

Malgré cet événement historique pour notre pays, les Suisses manifestent peu et les médecins, c’était la première fois, il n’y eut pas grande réaction du monde politique. Encore naïfs dans ce domaine, nous avions cru qu’un coup de gueule suffisait pour faire changer les choses. Alors, en 2009, nous avons fédéré nos forces en regroupant les généralistes, les internistes et les pédiatres au sein de Médecins de Famille et de l’Enfance Suisse (MFE) pour la défense de nos intérêts professionnels et nous avons lancé une initiative populaire.

2010, l’initiative

Si une manif a peu d’effet, une initiative populaire oblige constitutionnellement le gouvernement et le parlement à se saisir du sujet. Pour cela, n’importe quel citoyen suisse peut récolter, dans un délai de 18 mois, 100 000 signatures valables et les déposer à l’Administration fédérale. Le 1er avril 2010, nous avons remis plus de 200 000 signatures recueillies en un temps record de 5 mois, en faveur de notre texte « Oui à la médecine de famille ». Avec un tel nombre récolté en si peu de temps, le monde politique devait bouger. Ce qu’il fit et doublement. D’abord, le Parlement a retravaillé notre texte constitutionnel en élaborant un contre-projet plus consensuel. Ensuite, il a soutenu tout un train de mesures plus concrètes négociées avec notre nouveau ministre de la santé, bien plus favorable à notre cause.

2014, les résultats

Le texte modifié de notre initiative est finalement accepté en votation populaire, le 18 mai dernier, avec un pourcentage de oui quasi soviétique de 88%. Désormais, les soins médicaux de base, dont la médecine de famille est reconnue comme composante essentielle, sont inscrits dans la Constitution fédérale. Cela donne une direction à notre système de santé et oblige le gouvernement à légiférer sur la formation en médecine de famille et sur la rémunération appropriée de ses prestations. En conséquence, notre ministre vient d’ordonner une augmentation de notre consultation d’environ 10 dollars, à partir du 1er octobre, en baissant certaines prestations spécialisées, après avoir soutenu d’autres mesures en faveur de l’académisation, de la recherche et de la formation en médecine de famille.

L’aventure n’est pas terminée, les spécialistes ont fait recours…La pénurie n’est pas réglée, mais nous espérons toujours. Avec une nouvelle ardeur, un fort soutien populaire et les sourires reconnaissants des étudiants que nous accueillons toujours plus nombreux dans nos cabinets médicaux.

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