Florence Grégoire-Briard
McGill University
Class of 2015

moodboard/moodboard/Thinkstock

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Aujourd’hui, j’ai vu la mort. Aujourd’hui, j’ai vu la vie.

Aujourd’hui, j’ai tenu la main d’un homme et l’ai accompagné dans ses derniers souffles.

Aujourd’hui, j’ai tenu la main d’une femme, alors qu’elle donnait la vie.

Je suis passée d’un extrême à l’autre, d’une famille endeuillée à une famille émerveillée, du sourire aux larmes. J’ai beaucoup pleuré. J’ai cru qu’on me faisait une blague : premier décès et premier accouchement dans la même journée, ça fait beaucoup! Dans les deux cas, émue d’être aux premières loges de moments aussi précieux dans la vie d’un être et de sa famille.

Aujourd’hui, j’ai été aux premières loges du cycle de la vie. J’ai vu à quel point elle était forte, à quel point elle était faible. J’ai vu une femme se battre pour la sienne, j’ai vu un homme échouer et la perdre. J’ai vu la souffrance dans ce qu’elle a de plus vicieux, de plus horrible à offrir. J’ai vu la souffrance ; celle du début, celle de la fin.

Aujourd’hui, seule, loin de sa terre natale, cette adolescente, apeurée, m’a laissé entrer dans son monde, m’a laissé partager avec elle un des moments les plus importants de sa vie. La naissance de Jonathan. Réticente à tout contact au début, c’est dans les cris, dans les pleurs que je me suis approchée, que j’ai étanché sa soif, que j’ai caressé ses cheveux. C’est lorsque la douleur devenait trop forte, insupportable, que je l’ai rassurée, que je lui ai serré la main. C’est lors des premiers cris du nouveau-né que nous nous sommes regardées et que, pour la première fois, nous nous sommes souries.

Aujourd’hui, j’ai assisté au combat de cet homme, à ses dernières heures de lutte contre le crabe qui lui dévorait le ventre. J’ai apaisé sa souffrance, mais j’ai aussi pleuré avec sa femme et ses enfants, rassuré ses amis. Je l’ai accompagné alors qu’il faisait face à ses pires démons, alors que l’étincelle dans ses yeux nous quittait peu à peu. Rien, à cet instant précis, n’était plus important pour lui et sa famille que de savoir qu’il n’allait pas souffrir, que quelqu’un allait être là jusqu’au bout, jusqu’à la fin.

Aujourd’hui, j’ai tenu la main de cet homme avant que la mort ne l’emporte.

On se demande parfois ce qu’est la vie, ce qui la rend unique et mystérieuse, ce qui fait qu’elle compte. Et puis, aujourd’hui, j’ai compris. Compris que la vie n’est qu’une succession d’étapes qui la définissent, qui nous définissent ; des souvenirs et moments qui lui donnent une  importance, un sens. Notre naissance, l’entrée à la maternelle, le premier amour, le premier déménagement, une graduation, l’entrée dans le monde du travail. Un mariage, une grossesse et puis voir ses enfants vivre et traverser ces mêmes étapes. C’est aussi la maladie, la perte d’un être cher, la vieillesse et puis, inévitablement, la mort. Une succession de quelques éléments, qui, finalement, donnent tout un sens à notre vie.

C’est pour être aux premières loges de ces étapes que je suis allée en médecine. Parce qu’avant la pathophysiologie, le diagnostic différentiel, la pharmacologie et les sciences fondamentales, ce qui me fascine, c’est la vie elle-même, ce sont les gens. Parce qu’il n’existe plus beau privilège que celui d’être aux premières loges du théâtre de celle-ci, que d’assister aux moments les plus beaux qu’elle a à offrir. Parfois aussi les plus creux. Parce que nos patients ont besoin de nous lorsque ça compte, lorsque le corps décide de lâcher. Ils ont besoin de partager, d’être entourés de gens de confiance lors de ces évènements, parfois banaux, parfois tragiques, et qui, pourtant, donnent toute leur importance à leur vie.

Aujourd’hui, j’ai vu la beauté : celle du début, celle de la fin.

Ceci est une oeuvre de fiction