Picture of Sébastien MoineSébastien Moine est médecin généraliste en Saint Just en Chaussée, France, et doctorant en santé publique (Université Paris 13) | Sébastien Moine is a GP in Saint Just en Chaussée, France and a PhD candidate in public health (Université Paris 13)

 

[English version follows below]

« Nous sommes très heureux que vous veniez travailler avec nous ! C’est vrai, nous avons peu de médecins généralistes dans notre hôpital. Il est toujours bon de développer de nouvelles relations. » Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’elle va rajouter quelque chose. J’acquiesce avec un sourire, sans dire un mot. C’est mon dernier entretien d’embauche avec la directrice adjointe des affaires médicales. Elle ajoute : « Oui, c’est vrai, nous sommes dans des mondes différents, et nous ne nous rencontrons pas très souvent. Mais nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Peut-être qu’à l’hôpital nous sommes un peu plus proches des patients. Un peu plus que vous. Après tout, quand vous rencontrez vos patients, vous êtes assis derrière votre bureau, alors que nous nous tenons toujours près du lit de nos patients… Très près, oui. »

Dix ans après avoir quitté les hôpitaux, je retourne comme médecin à temps partiel dans l’équipe mobile de soins palliatifs de notre centre hospitalier local. Je suis médecin généraliste dans une région rurale du nord de la France. Un indécrottable médecin généraliste. J’avais juré, il y a plusieurs années, que je ne travaillerais plus jamais dans un hôpital. Trop impersonnel. Trop violent. Trop biomédical. Mais malgré tout, me voilà de retour. Ma pratique a récemment évolué vers les soins palliatifs primaires. Et ma grande question, en tant que chercheur, est de trouver comment améliorer l’accès aux soins palliatifs dès les soins primaires. A cet égard, j’ai besoin de mieux comprendre ce qui peut arriver à différentes étapes des trajectoires de maladie des patients, afin de les aider à naviguer entre les divers contextes de soin de notre système de santé.

En France, la grande majorité de l’offre de soins palliatifs se trouve dans les soins secondaires. Jusqu’à très récemment, les soins primaires sont restés fragmentés et mal coordonnés, avec peu de professionnels travaillant en équipe. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’approche palliative est peu répandue dans les soins primaires français. La première conséquence de cette situation est un faible accès aux ressources spécialisées de soins palliatifs, car les médecins généralistes et les infirmier.e.s ne sont pas habitués à repérer les patients approchant de la fin de leur vie dans le contexte des soins primaires. Beaucoup de patients (surtout ceux ayant des maladies autres que le cancer) ont des besoins en termes de soins palliatifs qui ne sont pas pris en charge : une faible proportion de ces patients aura accès à des soins palliatifs spécialisés (ressource rare en France). Dans notre pays, l’accessibilité repose plus sur la chance que sur un processus formalisé.

Je ne sais pas si je suis plus proche des patients que je rencontre à l’hôpital, ou dans mon cabinet de médecine générale. Ce que je sais c’est que l’intégration des soins palliatifs devrait se faire précocement dans la trajectoire des patients vivant avec une maladie chronique avancée, quel que soit le contexte de soins. Une telle intégration doit reposer sur une collaboration durable entre les professionnels des soins primaires et secondaires. Ils appartiennent à des cultures différentes. Et les stéréotypes au sujet de ce que les autres sont, ou devraient être, sont présents de chaque côté. Pourtant, cette collaboration est cruciale car il s’agit d’une condition essentielle pour la qualité et la sécurité des soins — que les patients soient à l’hôpital ou à la maison. Et même si la possibilité de mourir chez soi demeure difficile, ou si la question du domicile, en tant que lieu de soin ou de décès préféré, reste discutable, nous devons contribuer à améliorer le sentiment de sécurité, ainsi que le respect des choix personnels et de l’intimité des patients approchant de la fin de leur vie, quel que soit l’endroit où ceux-ci passent leurs derniers moments.

English

“We are very happy that you come and work with us! This is true, we have too few general practitioners working in our hospital. It’s good to develop new relationships.”

I don’t know why, but I feel that she has something else to add. I nod with a smile. I don’t speak. This is my last job interview with the deputy director of medical affairs. And she adds, “Yes it’s true, we are in two different worlds and we don’t meet very often. But we have a lot to learn from each other. Maybe we, in hospitals, are closer to our patients. Closer than you are. Because when you meet patients, you sit behind your desk, while we always stand near the bed where our patients lie… Much more closer, yes.”

Ten years after leaving hospitals, I return as a part-time physician in the palliative care mobile team in our local hospital. I am currently a GP in a rural area in Northern France. A hopeless GP. I had sworn many years ago that I would never practice in a hospital again. Too impersonal. Too violent. Too biomedical. But despite all of this, here I am. My clinical practice has recently evolved toward primary palliative care. And my main question, as a researcher, is to find out how to improve access to palliative care in primary care. In this regard, I have to better understand what can happen at various stages of the patients’ illness trajectories, in order to help them navigate between different care settings in our health system.

In France, the vast majority of specialist palliative care is provided in secondary care settings. Until very recently, primary care has remained quite fragmented and not well co-ordinated. Few primary healthcare professionals work as genuine teams. This is one of the reasons why the palliative approach is not widespread in French primary care. The first consequence of this situation is a poor access to specialist palliative care, because GPs and nurses are not familiar with the identification of patients approaching the end of their life in the community. A lot of patients (especially those with non-cancer conditions) have unmet palliative needs, and few of them will reach a specialist palliative care service – which is a scarce resource. In our country (as in many others), access is a matter of luck, not a formalised process.

I don’t know if I am closer to the patients I meet in hospital or in my GP surgery. What I know is that integration of palliative care should occur early in the trajectory of patients with advanced chronic conditions, whatever the care setting. Such an integration has to rely on an ongoing collaboration between primary and secondary care professionals. They belong to different cultures. And stereotypes about what the others are or should be are present on both sides. Yet, this collaboration is crucial because it is a prerequisite for quality and safety in care, whether patients stay in hospital or at home. And even if the possibility to die at home may be difficult, or if home, as preferred place of death remains contentious, we must contribute to promote a feeling of safety, privacy, and intimacy in dying patients, wherever they spend their last moments.